Bifurquer, quitter l’ordre millénaire
Raymond Millot nous a quitté le 19 août dernier. Il avait 98 ans.
Nous, le Groupe Éducation du Conseil national de la nouvelle Résistance, le CNNR, travaillons à partir de ses écrits. En février, il nous envoie un texte.
Je le lis, le relis … Son texte est très puissant, il me fait un choc. Je ressens une urgence, une nécessité, une évidence à le faire connaître, à proclamer ce cri d’alerte. Il m’habite, tourne dans ma tête, je réfléchis à une proposition pour le faire rayonner de la façon la plus créative, percutante, inspirante et mobilisatrice.
Ce texte ne doit pas rester comme une énième déclaration mais comme un cri d’alarme qui secoue la morosité et la mollesse ambiante.
Le voici aujourd’hui.
Raymond a accepté d’en dire des extraits et je le remercie pour ce précieux cadeau.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Alors que les enfants prennent conscience de l’avenir qui les attend, leur statut d’objets façonnés et formatés selon les besoins du système économique et politique doit laisser place au statut de sujets conscients de l’importance des défis et capables de contribuer à la recherche de solutions, en collaboration avec des adultes.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Nous devons réinventer nos modèles. Mais comment et pour emprunter quel autre chemin ?
Il s’agit d’un long cheminement vers une bifurcation majeure pour aller à la racine des choses, à la racine du problème éducatif, des aliénations, ce que l’humanité se refuse de faire pour rester dans un confort relatif.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
En 1882, Jules Ferry instaure l’école obligatoire, les enfants échappent enfin à l’exploitation par le travail. On leur enseigne ce qu’on nomme aujourd’hui les « savoirs fondamentaux » pour satisfaire les besoins de la révolution industrielle et ceux de la Patrie.
2021, en France : une commission indépendante, la CIVIISE, se penche sur les violences sexuelles faites aux enfants.
L’opinion découvre aujourd’hui que l’enfant, dont on parle publiquement avec attendrissement et qui fait l’objet de soins raffinés dans les journaux, est aussi, massivement, l’objet des pires abus. On aimerait assister à une vague massive d’indignation…
2024, le juge Durand est évincé de la CIIVISE qui portait la légitimité de la parole des victimes … il semble qu’il dérange…
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Nous devons réfléchir au fait qu’aucun mouvement MeToo ne permettra aux enfants de « se faire entendre », et que cette évidence nous fait le devoir, sinon de parler pour eux, du moins de réunir les preuves que leurs souffrances sont encore plus nombreuses et odieuses que celles des femmes. Il nous est possible d’agir sur celles qu’ils subissent à l’école
Certaines violences sont depuis peu connues du public : harcèlement, décrochage, phobie scolaire, détérioration de la santé mentale des enfants et des adolescents. Le problème de ces violences graves nous fait remonter à la racine des causes.
A cet effet, nous proposons de prendre au sérieux l’objectif majeur qu’osait évoquer Jules Ferry, l’émancipation, et de réfléchir à la manière de transposer, à l’intention des enfants, la conviction de Karl Marx : « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes »…
Quel est le statut des enfants dans le service public, aujourd’hui ?
Dans cette école, les enfants deviennent objectivement des objets dont les étapes de formatage sont suivies attentivement : les évaluations se multiplient. Aujourd’hui les organisations politiques défendent l’école de la république et évoquent volontiers sa fonction éducatrice mais elles se gardent de dénoncer le rôle du système scolaire dans la reproduction sociale comme ont osé le faire les sociologues Bourdieu et Passeron.
Aujourd’hui bifurquer est une obligation, c’est le projet d’une bifurcation majeure, la bifurcation du statut de l’ensemble du vivant. Elle commence à s’imposer.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Nous proposons donc de reconnaître aux écoliers un statut de sujets, de considérer, non plus qu’ils doivent admettre la société et possiblement l’améliorer, mais qu’ils doivent être les acteurs du changement, et donc qu’il nous revient de leur permettre de s’y préparer. Notamment en étant acteurs dans leurs apprentissages. C’est le minimum qu’on peut faire pour eux après leur avoir légué un monde invivable… »
Nos enfants aborderont mieux les situations difficiles à venir avec un statut de sujet. Affirmer le rôle et la place des enfants, c’est conclure à la modification de leur statut, c’est les reconnaître comme partenaires.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Il faut affirmer que l’éducation est un bien commun qui, en tant que tel, ne doit pas dépendre d’un quelconque pouvoir politique ou économique mais faire l’objet d’une construction collective évolutive, élaborée démocratiquement, politiquement indépendante.
En résumé, il s’agit de quitter l’ordre millénaire. Raymond Millot nous indique la voie à suivre ; le cap est clair. Il ne nie pas les difficultés dont il sait que la plus grande est certainement de dépasser nos propres aliénations et de refuser le statut d’objet.
Il faut insister. Insister longtemps.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Oui, il s’agit bien d’une utopie mais d’une utopie concrète, concrète parce qu’elle est plus que jamais le lieu où se dénouent les impossibles. Elle est LE lieu pour penser une école en dehors de sa dépendance à un pouvoir politique aliéné à une économie dévastatrice. Raymond nous offre des pistes qui prennent corps dans un scénario qui n’est pas que fictionnel : les expériences passées qu’il a vécues ou suivies montrent que cette bifurcation est possible.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Il semble donc tout à fait réaliste de proposer aux forces progressistes et aux syndicats de projeter une CONVENTION CITOYENNE DE L’EDUCATION, un dispositif possible fructueux, où pourraient être discutées cette notion de BIEN COMMUN et les conditions d’une réelle INDEPENDANCE vis-à-vis des pouvoirs politiques.
Il s’agirait d’interpeller les institutions existantes comme le défenseur des droits ou la Convention internationale des droits de l’enfant qui a fait de l’enfant un sujet de plein droit, pour qu’elle s’adapte elle aussi au nouveau paradigme. Le projet pourrait être porté par Convergence(s) qui rassemble l’ensemble des associations éducatives.
Bifurquons, quittons l’ordre millénaire
Pour terminer, je vous invite à découvrir, dans son dernier opus, la fiction imaginée par Raymond Millot : il s’agit de concrétiser une mobilisation générale face aux effets du réchauffement, qui permet d’imaginer comment la pédagogie de projet peut encourager un autre accès au savoir tout en générant des attitudes collectives favorables à la résilience.
Dans cette fiction, on se retrouve en 2030 dans le bassin d’Arcachon. Les préoccupations des habitants se portent sur la montée de la mer. Mais c’est un nouvel incendie de forêt qui, enfin, pousse une poignée de profs un peu politisés à rédiger le tract suivant pour leurs collègues : « Confrontés à ce nouveau feu, une mobilisation générale est nécessaire.»
Nous considérons que les enfants doivent y participer. Les actions à envisager peuvent alimenter et donner du sens à nos enseignements dans tous les domaines: lecture, écrits, maths, sciences, expression artistique … Posons aux élèves la question : que pourrait-on faire ? » ………
Bifurquer, quitter l’ordre millénaire
Vous pourrez lire la suite, inventive et créative, dans le livre de Raymond : « Bifurquer … changer l’ordre millénaire » aux Editions Massot. Il sortira en librairie le 9 janvier 2025.