Compte rendu des ateliers
Après le succès des Fêtes de la Sécu 2022, le CNNR a organisé, le 21 Octobre dernier, une Fête de la Sécu à Saint-Etienne. Cette manifestation comprenait notamment plusieurs ateliers qui ont réuni chacun entre 20 et 30 personnes sur les thèmes suivants : comment reprendre en main la Sécu ? Peut-on l'étendre à l'alimentation ? Vers quoi nous entraîne le PLFSS 2023 ? Vous trouverez ici les comptes rendus de ces ateliers.

/

Fête de la Sécu 2023 - Saint-Etienne, 21/10/2023

Trois ateliers se sont déroulés en parallèle, réunissant chacun entre 20 et 30 personnes autour d’un animateur et/ou d’une animatrice, sur les questions suivantes :
  • Reprise en main : Une construction démocratique et citoyenne : quelle place pour les citoyens, pour les professionnels de santé et pour les organisations représentatives des travailleurs ?
  • Pour une sécurité sociale intégrale : le « 100% Sécu » sur les 5 branches gérées par les travailleuses et les travailleurs, c’est possible !  Enjeux et financement. Convergences et divergences avec les autres syndicats et … les mutuelles.
  • PLFSS 2024 : Principales mesures prévues en 2024 (franchises, aide médicale de l’Etat…).  Contre-offensive et alternatives.
  • Vers une sécurité sociale de l’alimentation intégrée au régime général : expérimentations citoyennes et discussions entre les syndicats.
 

 1 – Atelier « PLFSS 24 et Sécurité sociale intégrale »

Cet atelier a réuni, autour de Mireille Carrot (membre de la direction confédérale de la CGT) et de Bernard Teper (animateur du groupe Sécurité sociale de la « Convergence nationale pour la défense des services publics » et auteur de plusieurs ouvrages sur la Sécu), plus de 20 personnes d’origines assez diverses, dont plusieurs infirmières et infirmiers, des syndicalistes, quelques retraités, quelques agents des services publics, ainsi que Cyrille Bonnefoy, maire de La Ricamarie, et Thomas Solanas, assistant parlementaire d’Andrée Taurinya, députée LFI.

Le tour de table a fait ressortir plusieurs questions techniques sur le PLFSS et le rôle de nos élus, l’expression de profondes inquiétudes, la demande d’une argumentation structurée pour convaincre les collègues hésitants. Mais aussi quelques témoignages forts d’agents de la Sécu, de syndicalistes, d’une élue au conseil régional de la CRAM (qui nous a fait part de sa surprise lorsqu’elle a entendu des élus lui reprocher d’avoir supprimé tel ou tel service, alors même que ces élus avaient voté la baisse des budgets !).  Thomas Solanas se demande, lui, comment on pourrait, ensemble, sortir de l’impasse parlementaire et gagner la bataille culturelle.

Répondant aux questions de compréhension relatives aux interventions en plénières, Bernard Teper a expliqué comment le patronat, d’abord, l’État ensuite, se sont progressivement approprié la gouvernance de la sécu, replaçant ainsi l’ONDAM et le PLFSS dans une logique de déconstruction calculée.  Rappelant la différence entre impôt et cotisation, il révèle le mensonge du « gagner plus en baissant les cotisations ». Il rappelle aussi que le coût de la santé aux USA est bien plus élevé que le nôtre, alors que leur système de santé est totalement inégalitaire !  Il rappelle aussi l’aberration que constituent les complémentaires santé dont les frais de gestion sont quatre fois plus élevés que ceux de nos caisses de sécu.

Mireille Carrot a ensuite pointé les verrous à faire sauter. Pour convaincre, il faut poser la question des droits de chacun, la question de la réponse aux besoins. Pour la CGT, il s’agit d’une double besogne : il faut en même temps se battre sur le quotidien et sur les questions de fond. 

Cyrille Bonnefoy (dont la commune vient d’obtenir le label « Espace non-recours », avec un budget pour rechercher et quantifier les causes de non demande d’aide par les ayants-droits) apporte une conclusion positive : la Sécu, avant tout, génère de la richesse, du bien-être, de la sérénité devant l’avenir, mais aussi des emplois et, par conséquent, des cotisations.

2 – Atelier « Reprise en main de la Sécu »

L’atelier a réuni environ 45 participants autour de Nicolas Da Silva (auteur du livre « la Bataille de la Sécu »La Fabrique – Oct 2022), Marion Achache et Ariane Salomé-Jeunesse (syndicat de la médecine générale, SMG). Un premier tour de table a fait émerger de nombreuses questions :

  • Comment l’autogestion à un grand niveau (régional, étatique) est-elle possible ? Qu’est-ce qu’il faut modifier ?  Quels garde-fous pour éviter un retour en arrière, une étatisation à chaque fois ?
  • Quelle représentativité pour les citoyens dans la gestion de la Sécurité sociale ? Comment la définir ? Utiliser le tirage au sort ?  Donner du temps aux salariés pour y participer ?
  • Comment chacun peut-il agir pour supprimer les mutuelles, dont la gestion est plus coûteuse que celle de la Sécu) ?  Obstacles : les complémentaires elles-mêmes ?
  • Dysfonctionnements de l’hôpital et déserts médicaux : comment trouver une autre organisation pour les soins ?  Quelle place pour le privé (« la complémentarité, c’est du pipeau ») ? Quelle place pour la santé communautaire (définie par la Charte d’Ottawa) ?  Comment la solidarité des usagers peut-elle s’exprimer ?  Accès aux soins ? Transparence ?  Boycotter le privé pour des soins pas urgents ?
  • Impact de la numérisation en santé (dossier médical partagé, etc.)

Il a été décidé de s’organiser en trois sous-groupes pour les traiter :

1) Sous-groupe avec Nicolas Da Silva : Qui finance ?  Qui décide et comment ?  Propositions

C’est un enjeu de luttes des classes : ce qui déplaît au patronat, c’est que la Sécu est financée par les revenus du travail. Mais les dividendes versés aux actionnaires sont aussi produits par les travailleurs ! La Sécu n’est pas malade de ses dépenses, mais de son manque de recettes. Les exonérations de cotisations sur les salaires sont supérieures à 2,5 fois le SMIC et représentent 1,6 milliard d’euros, sans aucun effet sur l’emploi. Outre la suppression de ces exonérations, il faudrait mettre en place une cotisation sociale sur les revenus financiers, par exemple dans le cadre d’un plafonnement de la rentabilité des capitaux.

À noter plusieurs points sensibles et contradictoires : si on veut beaucoup de moyens pour la Sécurité sociale, il faut que le capital se porte bien. De même, attention à la qualification de ce « prélèvement » car les actionnaires résidant à l’étranger pourraient, du fait de la réglementation européenne, être dispensés de cette cotisation (en principe, ils ne bénéficient pas de la sécurité sociale).

Qui décide et comment ? Propositions

On ne peut pas s’en tenir à la seule représentation des travailleurs : il faut penser aux chômeurs, aux personnes qui ne sont pas en mesure de travailler, aux travailleurs sans-papiers, etc. On peut envisager une représentation avec différents collèges : syndicats, citoyens (tirage au sort), personnes rarement représentées (bas revenus, etc.).

Prendre le pouvoir dans l’institution, c’est se réapproprier les orientations de la politique de santé : comment voulons-nous nous soigner ? avec quels produits, quels examens ? Se pose la question de la maturité de ceux qui vont décider de tout cela et, par conséquent, de la formation des citoyens dans le cadre, par exemple, d’une convention citoyenne et/ou du développement de l’éducation populaire.

En conclusion, si nous voulons neutraliser les prédateurs actuels, il faut mettre autre chose à la place : la santé considérée comme un bien commun.

2) Sous-groupe avec Ariane Salomé-Jeunesse : Santé communautaire et numérique

Centres de santé communautaire :
  • bilan des besoins de santé d’un groupe de particuliers,
  • définir avec les professionnels, soignants et soignantes les problématiques, et quelles réponses apporter.

Qui prend l’initiative ? On ne part pas de rien, car de nombreuses expérimentations ont déjà eu lieu (à Echirolles, Toulouse, St Denis, etc.).

  • Plutôt aller dans un endroit où il y a d’autres usager.es, en faire un lieu de convivialité et d’humanité (aller chez le médecin ce n’est pas une corvée !).

Il existe déjà 70 Centres de santé participatifs, financés par la CNAMTS (la caisse des travailleurs salariés), fondés autour de groupes de soignant.es. Sur Saint-Étienne Métropole, construction d’un dossier autour de l’association « Terrain d’entente ».

  • Rejoindre les groupes existants : le groupe Pour un Service public territorial de santé, voire créer des groupes d’usager.es en association.

À l’Université Lyon 1, il existe une chaire universitaire sur la santé communautaire. Notre proposition, c’est de ne pas réinventer la roue, de partir d’expérimentations locales.

  • Partager des articles, des mails, des historiques.

→ constituer une liste mail.

  • Numérique et santé :

À terme, le numérique va progressivement remplacer la consultation médicale : cf. la télécabine de consultation avec analyse médicale robotisée.

Il s’agit pour nous de lister des actions possibles, mais aussi de veiller à la sécurité de nos données personnelles.

3) Sous-groupe avec Marion Achache : Comment les citoyens peuvent-ils agir pour défendre le système de santé ?

Tout d’abord bien comprendre son fonctionnement, ce qui implique la constitution d’un commun de connaissances essentielles et opposables, locales (ce qu’on appelle volontiers un “Observatoire citoyen”), élaboré par les acteurs de la transition, qui souhaitent gagner en légitimité et en crédibilité :

  • définir les lieux de soins,
  • comprendre comment est maillé le territoire,
  • quelle est l’offre de soin, ses caractéristiques (privé, public, …), son agenda,
  • les lieux de décisions et d’organisation de la santé (CST, GHT, ARS, …), définir ces acronymes et qui fait quoi, qui décide quoi ?
  • quelles sont les associations du territoire dans le domaine de la santé ? (autisme, handicap, etc.).

Sur cette base, on pourrait :

  1. Identifier ce qui manque, où on peut agir. Le rôle d’un centre de santé communautaire, sa fonction, ses missions.
  2. Dans quelles instances des citoyens, représentants ou non des associations, seraient-ils légitimes ? Quel CA ? Quelles réunions ? Quand se font-elles ? Y prendre toute notre place et prendre les choses en main …
  3. Convention citoyenne sur la santé : voir auprès des citoyen-nes pour le renouvellement de la démocratie (CRD : https://lescrd.org), puis via le Tour de France pour la Santé (https://tourdefrancesante.gogocarto.fr ) : comment organiser cela ? coût ? une université d’été de la santé ? Tirage au sort : il est très important qu’y participent des citoyens et pas uniquement des représentants d’associations.
 

Restitution en plénière des propositions des 3 sous-groupes

  • Représentativité : former différents collèges (syndicats/citoyens) avec tirage au sort.

Question : sommes-nous assez matures pour prendre des décisions compliquées ?

Proposition : convoquer et former une Convention citoyenne sur la Sécurité sociale et/ou un réseau d’éducation populaire.

  • Financement : comment faire contribuer les actionnaires ?

Proposition : cotisation/contribution sur les revenus financiers

  • Où le citoyen peut-il intervenir?

Proposition : recenser qui fait quoi : que font l’ARS, les CPTS …?

  • Centres de santé communautaire :

Proposition : soutien à un groupe de soignants de Saint-Étienne pour la création d’un centre communautaire.
Proposition : créer un statut type « patient.e expert solidaire » = des personnes qui ont vécu et vivent encore un problème de santé de l’intérieur  (douleurs chroniques) et qui seraient disponibles pour apporter une information et de l’expertise à d’autres sur le sujet et partager, avec joie, leurs ressentis, leurs recherches, leurs « trucs » pour aider à vivre avec !  (comme, par exemple, « les DoulHeureuses » à Marseille).

3 – Atelier Sécurité sociale de l’alimentation

Aujourd’hui, la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) est une dynamique de réflexion qui est lancée, mais sans cadre pour le moment. Celle-ci part de la réalité vécue par des millions de gens : 

  • 8 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire,
  • 12 millions de personnes sont en insuffisance alimentaire,
  • 40 % des gens déclarent être insatisfaits de leur alimentation (par ce qu’ils trouvent dans les magasins et qu’ils ont les moyens d’acheter),

Et cette situation est encore aggravée par l’inflation et par l’absence d’augmentation des salaires. 

La problématique de la grande distribution, c’est que, lorsqu’elle fait don de ses invendus aux associations, elle est défiscalisée.  Mais ces dons sont en réalité un surplus systémique de production, d’aliments de faible qualité. La grande distribution profite donc doublement sur le dos des plus pauvres. 

Voir le livre de Bénédicte BONZI, La France qui a faim : le don à l’épreuve des violences alimentaires, Seuil, 2023 : https://www.seuil.com/ouvrage/la-france-qui-a-faim-benedicte-bonzi/9782021480832

La Sécurité sociale de l’Alimentation veut assurer à tous le droit à l’alimentation, selon trois grands principes : 

  • Universalité : chacun.e bénéficierait de la SSA, quels que soient ses moyens, son statut social, sa nationalité, etc
  • Conventionnement démocratique : ce sont les citoyens qui choisissent qui ils veulent conventionner. On n’impose pas un type d’alimentation en particulier, même si on peut espérer que chacun.e fasse le choix d’une alimentation bio, locale, saine, etc
  • Financement par la cotisation sociale.
  • Fonctionnement : sur une carte, un budget de 150 € par mois et par personne serait attribué, à dépenser uniquement dans les magasins/producteurs/artisans ou autres conventionnés. 

Des expérimentations sont lancées un peu partout en France (Montpellier, Lyon, Toulouse, etc.).

À Saint-Étienne, le projet de la Caisse sociale de l’Alimentation est en cours : Caisse sociale de l’alimentation – Sécurité sociale de l’alimentation (securite-sociale-alimentation.org).

Les consommateurs seraient ainsi plus « acteurs » de leur alimentation. 

Il faudrait également faire de la pédagogie sur l’alimentation elle-même (nutrition, ateliers cuisine, etc.).

À Saint-Étienne, la cotisation est actuellement libre, et chacun reçoit chaque mois une somme correspondant à la moyenne des cotisations versées par l’ensemble des participants. 

Le conventionnement est établi avec des magasins et des producteurs selon les critères fixés par les participants eux-mêmes. 

Des terres sont également mises à disposition pour cultiver des légumes et des fruits, qui sont vendus pour alimenter la caisse. 

Il faudrait aussi apporter une aide aux paysans pour les aider à changer leur système de production. Le modèle agro-industriel sera alors aussi obligé de s’y mettre, s’il veut prendre sa part dans le conventionnement pour ne pas perdre ses clients. Le budget moyen consacré à l’alimentation en France étant de 225 € par mois et par personne : l’attribution de 150 € via la SSA représente une part non négligeable de ce budget. 

Plus largement, l’instauration de la SSA est une question de société, qui demanderait toute une nouvelle organisation dans les foyers (prendre le temps de cuisiner, d’aller faire les courses dans les lieux conventionnés, etc.). L’idée est de sanctuariser – de mettre à l’abri – le budget alimentation de la population. 

C’est aussi une économie significative pour la santé à long terme, car la qualité de l’alimentation a un impact – souvent déterminant – sur tous les indicateurs de santé publique.

Certains pensent également que, de même que la sécu a largement contribué, grâce au système de conventionnement, à faire grandir l’industrie pharmaceutique française entre 1947 et 1967, la SSA, en conventionnant prioritairement les produits de meilleure qualité environnementale, va enfin permettre de sortir l’agriculture bio de son ghetto.

Partager cet article